POUR MELUSINE
Il s’appelait « Violette » son « Iquitos ».
La laine, un bel alpaga violet, elles l’avaient choisie ensemble pour soulager son épaule douloureuse. Tous les après-midi, Mia tricotait à ses côtés. Parfois, elle lâchait son ouvrage pour tenir sa main chaude et si douce. Puis reprenant les aiguilles, elle laissait la dentelle abolir le présent et l’odeur cruelle de la maladie. Chaque maille était un mot qu’elle ne pouvait pas dire. Ses sombres pensées, au-dessus de l’aiguille, s’envolaient
comme des papillons. Souvent elle tournait la tête en souriant pour lui montrer ses avancées :
– Regarde, il sera bientôt fini !
Les jours s’égrainaient au rythme des grilles dont Mia franchissait les étapes avec une détermination fébrile et appliquée. Quand sa mère n’était pas trop fatiguée, elles regardaient,encore complices, des films de « filles » en faisant semblant d’oublier. Mais sans poser le tricot qui, dans la lumière, exhibait une dentelle lumineuse. Si épuisée et fragile qu’elle fût, elle s’inquiétait gentiment de sa « Violette » : elle était si pressée!
Soudain l’urgence l’emporta à l’hôpital. Sans qu’elle le sache, elle avait déjà fui dans un monde où ni le tricot ni sa fille n’avait plus leur place. Avec ses affaires, dans l’affolement, Mia emporta le poncho inachevé comme un malheureux doudou qui pourrait lui épargner le pire.
Pendant de longs jours encore, elle s’acharna sur son ouvrage refusant d’envisager la fin, tricotant sans s’arrêter sous l’œil interrogateur des infirmières et des médecins. Tricoter, c’était la garder vivante, c’était l’espoir de voir se réveiller enfin la belle-au-dormant d’un sommeil trop profond, c’était des mots d’amour sans parole.
Mais la belle-au-bois-dormant s’endormit pour toujours, sans attendre les dernières mailles.
Alors, pour l’accompagner dans cet ailleurs sans fin, Mia déposa tout doucement sur les épaules inertes de sa mère cette Violette dont il ne manquait que quelques rangs.
Je remercie Mélusine qui m’a permis de mettre quelques mots sur du chagrin.
Je remercie aussi Dodile qui a créé Iquitos, c’est un merveilleux modèle.
200 carrés au crochet pour couvertures jetés et plaids, de Jan Eaton.
Crochet nouvelle vague par Nancy Waile, éditions Fleurus.
Superbe texte ! Très touchant. Effectivement nos histoires sont très très proches <3
Tricoter,rêver au-delà des mailles qui nous relient toutes au fil de nos vies…merci pour ce partage!
C’est très émouvant… ton texte me touche beaucoup !
Merci de nous l’avoir fait partager.
Quel texte émouvant ! j’en ai les larmes aux yeux. Cette course contre la Vie … Je comprends tellement ce que tu veux dire !!!
Je t’embrasse.
Béa
quel texte émouvant…j’avoue que les yeux me piquent, je comprends tellement ce que tu dis!!!! je te fais un gros bisou…
Merci Muriel pour ce texte beau! Je t’embrasse!
Dans exactemment une semaine on arriiiive, et on s’embrassera en vrai!!!! [flash]
Ce texte m’émeut moi aussi beaucoup. Merci Muriel pour ce petit moment suspendu. Bisous. Moune
c’est un très beau texte
Et c’est un très beau texte, plein d’émotion et de pudeur…
ooh tout un poeme sur le tricot…superbe…que d’emotions…